18 avril 1997

Abraham chez les scouts. Rencontres et échanges pour la fête de l’Aïd el-Kébir.

La branche aînée des scouts musulmans de France (SMF, pour les 17-25 ans) fêtait hier l’Aïd el-Kébir dans une maison de Bonattrait, au bord du lac Léman (Haute-Savoie). L’occasion pour eux de parler de leur action en banlieue. Autour d’un feu de bois, les présentations se font à coups de dés bricolés dans des cartons de fortune. Les six facettes des cubes résument le parcours de chacun. «Nous ne voulons pas faire de ce jour un simple méchoui, , mais un temps de partage entre différentes confessions», explique Yacine Demaison. Le commissaire général des SMF, qui rassemblent 2 500 jeunes de 7 à 25 ans, a fait dresser une tente, symbole de l’hospitalité d’Abraham. L’Aïd el-Kébir, est la version musulmane de la commémoration du sacrifice d’Isaac par son père Abraham, référence commune à l’Islam, au judaïsme et au christianisme. Au dernier moment, selon la tradition, la main de Dieu substitua un mouton à l’enfant. Les cadres du scoutisme musulman ont invité leurs homologues chrétiens, juifs et même laïques à participer à leur séminaire sur l’Aït el-Kébir. Christian Delorme, le «curé des Minguettes», à répondu à leur demande. Cette rencontre est aussi l’occasion pour les soixante scouts et leurs invités de réfléchir au sens de leur engagement dans les quartiers.

Paroles de trois d’entre eux :

Zohra, 23 ans, «riche en dedans»

A l’entrée du rassemblement, Zohra accueille les nouveaux arrivants. Lunettes au bout du nez, la jeune bibliothécaire fait la part des choses: «Dans la vie, Dieu te donne des épreuves. Pas du genre: tu meurs d’envie de manger une religieuse et tu n’en trouves pas. Non, ce sont des épreuves qui touchent au plus fort de toi-même.» Silence. Un voile de tristesse assombrit un instant les yeux noirs de Zohra. Son père et sa mère l’ont quittée coup sur coup en l’espace d’un an. «Quand mes parents sont morts, je me suis dit: Maintenant qu’est-ce que tu fais Zohra?». «Jusqu’ici, la religion n’était pas un choix, seulement une boîte à outils léguée en héritage. C’est devenu un engagement.» Elle vit près de la Cité des Fleurs à La Courneuve. Chef de groupe du district de Seine-Saint-Denis, Zohra multiplie les activités éducatives: poterie, calligraphie arabe, mini-camps. «Ce n’est pas toujours évident de faire partir les gamins. On a affaire à des parents pour qui le seul règlement de la cotisation annuelle de 150 francs pose problème.» Zohra a toujours vu ses parents «faibles socialement mais riches en dedans». Alors, pour perpétuer un peu leur héritage, elle raconte la vie des prophètes aux enfants.

Wassila, 17 ans, cherche une «issue de secours»

Il y a quelques mois, Wassila a abandonné son BEP de comptabilité. Aujourd’hui, elle espère suivre une formation d’animatrice. Wassila rape en douceur. Contre Le Pen, pour améliorer la vie dans la cité et parce que «ce n’est pas en criant que les choses bougent». Son groupe s’appelle «Issue de secours» et les paroles de ses chansons remplissent ses cahiers de math. Pionnière à Tourcoing, dans le Nord, cette jeune fille d’origine algérienne est venue au scoutisme en zig-zag. «J’ai connu les scouts musulmans par la parabole à la télé algérienne. Je me suis inscrite une première fois puis je suis partie.»L’adolescente avait besoin de prendre du recul. «Avant l’Islam, c’était un devoir. Fais ci, fais ça, sinon tu n’iras pas au paradis. Maintenant, je vis ma religion par choix, pour être bien avec les autres mais aussi avec moi-même.» Wassila sort, se maquille, fume mais ne fait pas «n’importe quoi». «Les interdits sont parfois difficiles: ne pas boire d’alcool dans une soirée, ne pas avoir de relations avant le mariage», sourit la jeune fille. Wassila sait que le message est difficile à faire passer et que la religion «ne suffit pas». Il y a trois mois, son atelier basket est tombé à l’eau pour «usage de drogue dans les vestiaires». Wassila ne baisse pas les bras. A coup de projets et d’activités, elle se bat pour trouver une «issue de secours»

Abdou, 22 ans, scout à plein temps

Abdou a retroussé les manches de sa chemise verte: «Dans un mouvement aussi jeune que le nôtre, tout reste à construire pour que les jeunes de banlieue ne passent pas leur vie à tenir les murs, les mains dans les poches». Abdou a fait du théâtre, de la photo. Aujourd’hui, il est «scout à plein temps» pour le district Nord. «Le mot musulman a pris une connotation négative dans la société française.Dans la tête des gens, cela rime avec terroristes, GIA, foulard et attentats. Quand tu ajoutes les mots scouts et de France, ça donne tout de suite un autre ton». A Villeneuve-d’Ascq (Nord), Abdou essaie de combattre «l’ignorance et la bêtise». Au début de chaque camp, il confisque Game-Boy et Walkman des gamins pour leur réapprendre à communiquer.Et Abraham? «Si je racontais son histoire à des enfants, je leur dirais que c’était un gars qui a sacrifié ce qu’il avait de plus cher, son fils, sans être sûr de lui. Un peu comme un jeune pourrait aujourd’hui se sacrifier».

Par Nathalie JOURNO — 18 avril 1997

Source : http://www.liberation.fr/france-archive/1997/04/18/abraham-chez-les-scouts-rencontres-et-echanges-pour-la-fete-de-l-aid-el-kebir_202317

Article de presse : Tente d’Abraham – 1997

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